Les pères fondateurs Esprit Calvet

Esprit-Claude-François CALVET naquit à Avignon, le 24 novembre 1728, d'une vieille famille fixée dans cette ville depuis le XVème siècle.

Il y fit toutes ses études, d'abord au Collège des Jésuites, puis à la Faculté de médecine dans laquelle il prit tous ses grades, baccalauréat, licence, doctorat et même l'agrégation qui était « fort au-dessus du simple doctorat ».
Il alla cependant compléter sa formation médicale à Montpellier, puis à Paris. Il revint ensuite s'établir dans la vieille maison familiale de la rue Pugelle (appelée plus tard rue CALVET).
Il y fut nommé professeur d'anatomie à la Faculté de médecine ; le succès de ses leçons lui valut, en 1756, la chaire de premier professeur de médecine, puis le titre de médecin en chef des hôpitaux de Sainte-Marthe et de Saint-Bénézet.

Mais il ne se laissait pas absorber par son métier et sa curiosité était universelle. Il s'intéressait à la médecine et à l'histoire naturelle, comme à la philosophie et à la poésie. La diversité de ses travaux apparaît par les six gros volumes de ses œuvres complètes transcrites de sa main d'une écriture menue et pressée, en double exemplaire, l'un conservé dans sa bibliothèque, l'autre confié par cet homme précautionneux et défiant à un autre dépôt public, la Bibliothèque de Marseille.

De bonne heure il s'était attaché à recueillir les monnaies anciennes ; à sa mort il en possédait 12.000 dont un grand nombre de pièces d'or. Ses cabinets d'antiquités et d'histoire naturelle s'étaient formés en même temps.

Son immense correspondance fit aussi beaucoup pour sa réputation scientifique. Nous n'avons qu'une faible partie de ses lettres ; quelques-unes adressées au comte de Caylus ont été imprimées dans un recueil des Lettres inédites d'Henri IV et de plusieurs personnages célèbres ; d'autres, adressées au Marquis de Cambis-Velleron et au président de Vérone, ont pu être recueillies par le Musée CALVET. Par contre, celles de ses correspondants soigneusement conservées et classées par lui forment dix-sept volumes reliés et plusieurs dossiers ; elles émanent des savants les plus notables de son temps, le comte de Caylus, Lebeau, secrétaire de l'Académie des Inscriptions, le président de Vérone, le président Séguier, de Nîmes, le président de Saint-Vincens, d'Aix, l'helléniste Ansse de Villoison, d'Ennery, l'abbé Barthélémy, Mariette, le marquis de Calvière, etc. Grâce à l'appui du comte de Caylus et de l'abbé Barthélémy, il fut nommé correspondant de l'Académie des Inscriptions.

Esprit CALVET testa à plusieurs reprises en faveur de la ville d’Avignon.
« II est juste, disait-il, que je rende au public ce qu'il m'a donné ». Son premier testament datait de 1771 ; il le refit en 1785, en 1788, en 1790, puis, à partir de 1804, tous les ans. Dans chacun de ses textes. il exprimait sa volonté de laisser sa bibliothèque à sa ville natale, en insistant toujours de plus en plus sur les précautions à prendre pour assurer l'autonomie et la pérennité de son œuvre.

Son dernier testament olographe (cf. DMC 1) porte la date du 10 janvier 1810. Couronnement d'une longue élaboration et de multiples essais, c'est un chef d'œuvre d'organisation prévoyante et minutieuse.

« Je lègue, stipule-t-il, laisse et donne à cette dite ville d'Avignon ma bibliothèque pour la rendre publique avec ses manuscrits ..., sous la condition expresse que les livres et manuscrits de ma collection ne seront... jamais confondus et mêlés avec ceux de la bibliothèque établie par le Gouvernement...
« Ma bibliothèque sera organisée en détail par huit citoyens gens de lettres, parmi lesquels seront constamment admis mes exécuteurs testamentaires et leurs successeurs, tandis que le Conseil de ville désignera les cinq autres ».

CALVET annexait à sa bibliothèque ses cabinets de médailles, ses « monuments antiques et modernes », sa collection d'histoire naturelle. Il la dotait en outre de la presque totalité de ses biens, sans toutefois, insistait-il, « que la ville puisse s'approprier aucun de mes fonds ou revenus ni par emprunt ni autrement dans aucun cas »
Pour recevoir sa bibliothèque, CALVET demandait à la ville de « fournir sans frais » un immeuble, tel qu'un couvent, où logeraient « le directeur ou bibliothécaire » et les gens de service, et de prendre à sa charge le traitement du personnel de la conservation.

CALVET mourut le 25 juillet 1810, à l'âge de 82 ans, et fut selon sa volonté inhumé dans le cimetière qui existait alors sur le Rocher des Doms. Il fut mis en terre, selon son désir, dans un simple sac, « sans caisse ni tombeau ».
Dès le 4 août 1810, c'est-à-dire dix jours après le décès de ce grand bienfaiteur de la ville, le Conseil municipal, réuni en séance extraordinaire sous la présidence de M. de Bertrand (cf. Ibid), maire, décidait à l'unanimité d'accepter « les dispositions renfermées dans le dernier testament de CALVET ».
Moins d'un an après, le 9 avril 1811, un décret impérial (cf. Ibid) intervenait autorisant la ville à accepter «le legs universel fait à son profit par le sieur Esprit CALVET, suivant son testament olographe en date du 10 janvier 1810 dont l'extrait sera joint au présent décret, aux charges et conditions y apposées ». Le nouvel établissement reçut ainsi, suivant la volonté de son fondateur, la pleine autonomie administrative. On lui conféra dès son origine l’appellation MUSEUM CALVET. Un jugement du tribunal civil d’Avignon en date du 23 janvier 1893 confirma que « le Musée CALVET a été considéré de tout temps par l’Etat, par les particuliers, par la ville elle-même, comme formant une personnalité entièrement distincte de celle de la ville d’Avignon ». La personnalité civile de l’institution a été constamment reconnue tant par les juridictions judiciaires que par le conseil d’état et par les autorités administratives.

Le 16 décembre 2003 le tribunal administratif de Marseille a condamné, la commune d’Avignon à respecter l’existence et l’indépendance de l’institution. Ce jugement demeura sans appel.

Entre temps, M. de Bertrand avait cessé d'être maire et avait été remplacé par le célèbre Guillaume Puy, investi pour la troisième fois de la fonction municipale le 19 mai 1811. C'est ce dernier, qualifié par Napoléon de « maire modèle », qui assura l'exécution du legs et présida aux commencements du Musée CALVET.
Le décret impérial autorisant l'acceptation du legs avait été notifié le 25 juin 1811. Quelques jours plus tard, le 8 juillet, le Conseil municipal nommait les cinq administrateurs qui devaient, avec les exécuteurs testamentaires, former le Conseil des huit.

On remarquera qu'on avait donné le nom de Museum et non de Bibliothèque à l'institution créée par CALVET. C'était en effet l'appellation en usage à l'époque pour les établissements de ce genre ; il en existe un exemple illustre, le British Museum, Musée britannique de Londres, qui était aussi à l'origine une bibliothèque avant de devenir un des plus grands Musées du Monde.

En même temps que l'Administration du Musée CALVET procédait à la mise en marche de l'établissement, elle se préoccupait de mettre au point son statut. Mais le Préfet l'avait devancée : un projet préfectoral arrêté le 10 septembre 1821 fut adressé au Ministre de l’Intérieur qui le soumit au Conseil d'Etat. Le Comité de l'Intérieur de la haute assemblée, par un « avis » du 19 mars 1823, donna son approbation au texte proposé « sauf quelques modifications tendantes à écarter l'intervention du Gouvernement, conformément aux volontés expresses du testateur ».
Bien qu'ils aient été tenus en dehors de la rédaction de ce règlement, les administrateurs du Musée CALVET s'y soumirent « par déférence pour l'autorité ». Mais ils proposèrent quelques amendements qui furent acceptés par la suite (avis du Conseil d'Etat des 26 août 1831 et 7 mars 1832).
C'est ce règlement de 1823, modifié en 1831-1832(cf. Ibid), calqué sur les dispositions de CALVET, qui est aujourd'hui encore la charte de l'établissement.
Les articles l à IV (cf. Ibid) règlent la composition de la Commission du Musée qui comprendra :
  • 1°) le Maire d'Avignon, président, - innovation introduite par le règlement, car CALVET n'avait pas prévu cette présidence ;
  • 2°) trois exécuteurs testamentaires nommés à vie et se recrutant par cooptation ; en cas de décès ou de démission de l'un d'eux, les deux autres désignant le successeur ;
  • 3°) cinq administrateurs nommés par le Conseil municipal, chacun pour une période de dix ans, et renouvelés par cinquième de deux ans en deux ans. A l'origine, la nomination des exécuteurs testamentaires, aussi bien que celle des administrateurs, devait être soumise à l'approbation préfectorale ; en 1832, cette obligation fut supprimée pour les exécuteurs testamentaires comme contraire à la volonté de CALVET. Enfin, l'année précédente, on avait introduit un article IV obligeant les administrateurs à être domiciliés à Avignon et à y résider. Cet ensemble de dispositions relatif à la composition de la Commission du Musée CALVET est, on le sait, unique dans l'organisation des Musées français et n'a d'analogue que la constitution des Conseils de trustees des Musées d'Angleterre.
  • L'art. VI règle les attributions du Conservateur qui aura « la garde » des collections « sous sa responsabilité personnelle ».

Les art. VII et VIII (cf. Ibid) fixent le fonctionnement du Conseil. D'après le règlement de 1823, le maire absent devait être suppléé par un exécuteur testamentaire désigné à chaque séance ; mais en pratique, un vice-président avait été élu ; en 1832, le Conseil d'Etat régularisa cette institution d'un vice-président, choisi parmi les exécuteurs testamentaires, élu pour cinq ans et suppléant dans toutes ses attributions le maire-président empêché.
L'art. IX du règlement (cf. Ibid) dit que : « Le Conseil aura la direction générale de toutes les parties de l'établissement » ; il administrera les biens et règlera les dépenses selon les volontés du fondateur et « les formes voulues par les lois pour les établissements publics ».
Un membre sera désigné « pour surveiller la comptabilité et signer les mandats ».
Le règlement traite ensuite de l'administration des biens (art.X à XIII cf. Ibid ), des catalogues ou inventaires des objets d'art et des livres (art. XIVcf. Ibid ), des distinctions honorifiques à décerner aux bienfaiteurs (art. XVcf. Ibid ), du buste de CALVET à placer dans la principale salle du Musée (art. XVI cf. Ibid).
Il termine par cette disposition (art. XX cf. Ibid) : « Pour tout ce qui n'est pas exprimé dans le présent règlement, le Conseil aura soin de se conformer aux volontés du testateur ».

Grâce aux charges et conditions stipulées dans son testament, Esprit CALVET donnait à sa ville beaucoup plus que sa bibliothèque et ses cabinets de curiosités. Il fondait une institution unique en France, que ses contemporains nommèrent MUSEUM CALVET, bien que lui-même la désignait sous le nom de ma bibliothèque : « Mes cabinets de médailles [...] appartiendront à ma bibliothèque [...]. Ma nombreuse collection d'histoire naturelle appartiendra aussi à ma bibliothèque et y sera logée [...]. Je lègue à ma bibliothèque 1° mon buste de marbre [...], etc.. »
Le décret impérial du 9 avril 1811 (cf. Ibid ) ayant « donné force et vie aux volontés de CALVET, impuissantes par elles seules à créer une personnalité juridique distincte de la personnalité communale » (Cour d'Appel de Nîmes, arrêt du 16 décembre 1903), l'établissement voulu par CALVET « constitue une personne civile capable de recevoir par donation ou testament ». (Ibid.)
La pleine autonomie administrative du MUSEUM CALVET (que l'on appelle aujourd'hui FONDATION CALVET) inspira une grande confiance parmi les artistes, les collectionneurs et les chercheurs, surtout ceux originaires d'Avignon. Leurs très nombreuses libéralités, ajoutées aux achats effectués par l'administration de l'institution, firent de la bibliothèque CALVET une des plus riches bibliothèques provinciales.