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Les autres manuscrits de cette maison n'offroient guère que des ouvrages de théologie mal digérés et marqués au coin du mauvais goût de leur siècle1. On y voyoit des dissertations sur S. Mathieu en deux volumes in-folio sur velin par frère Augustini de Ancona de l'ordre des frères Hermites ; et des Capitula et orationes per annum, 1 vol. in-folio, de même sur velin. Dans le cas que ces ouvrages n'existent plus2 , il est aisé de se consoler de leur perte.
Celuy qui, après la Bible de Clément VII, auroit mérité le plus d'attention, étoit un Decretum Gratiani sur velin, donné aux Célestins en 15883, ainsi qu'il y étoit marqué, par une Marie Lartissette4, sur laquelle mes recherches ne m'ont rien appris5. Ce volume, dégradé depuis longtemps, par des morceaux du texte enlevés avec les miniatures, a disparu entièrement6. L'auteur de cet ouvrage fut autrefoy estimé jusqu'à l'admiration : les manuscrits n'en sont point rares, il y en avoit un autre parfaitement entier, dans la bibliothèque du Noviciat des Jésuites d'Avignon, qui fut acheté eu 1769 par M. de Cambis, c'est celuy-ci dont il a donné la notice p. 248 du Catalogue raisonné des manuscrits de son cabinet, publié en 1770. On croit que le moine Gratien acheva cet ouvrage en 11517 ; nous en avons plusieurs éditions, la première est de Mayence, 1472, par Schoiffer de Gerns'heym8 ; la dernière fut faite par ordre de Grégoire XIII en 1582 avec de savantes notes de Sixte Fabri, dominicain. Je dois faire observer que ce manuscrit des Célestins portoit une thiare pontificale, chargée seulement de deux couronnes, ce qui prouve qu'il est antérieur an pontificat de Benoit XII, créé pape en 1334, puisque ce fut ce pape qui inogura de décorer la thiare d'une troisième couronne, ainsi que M. de Cambis le démontre, p. 91 et 93 du Catalogue cité, et non pas, comme on l'avoit cru assés généralement, Boniface VIII, élevé sur le thrône pontifical en 1294, après l'abdication de Célestin.

Commentaires de Labande

1 Voir pour cette affirmation la partie du catalogue publiée ci-dessus.
2 Ils existent encore : le second de ces ouvrages est le ms. 221 ; quant à celui d'Augustin Trionfo, d'Aucéne, après avoir été volé avec la Bible de Clément VII, il est revenu à la Bibliothèque d'Avignon, où il forme les ms. 71-72.
3 La date exacte est 1538.
4 Le nom véritable est Madeleine Lartessuti.
5 Et pourtant la famille Lartessuti, alliée des Porcelet, a joué un très grand rôle à Avignon. Madeleine Lartessuti, en particulier, a été la bienfaitrice de la ville au XVIe siècle et a consacré une partie de son immense fortune au public. Les papiers de cette famille sont conservés aux Archives municipales.
6 Erreur. Ce volume est toujours resté dans la librairie des Célestins, puis dans la Bibliothèque d'Avignon ; il porte actuellement le n° 659. Trois miniatures seulement ont été enlevées. (Voir la description donnée par le catalogue à la page 387 du tome Ier.)
7 Il l'a composé de 1130 à 1150.
8 Erreur. Le repertorium de Hain indique une édition imprimée à Strasbourg, en 1471 (n° 7883). Celle que Calvet désigne est le n° 7885 de Hain.
 
Vers le milieu de ce siècle, le P. Goujet, prieur de ce couvent, forma le projet de connoitre et de ranger sa bibliothèque, qui par son ancienneté paroissoit devoir renfermer des morceaux précieux ; on jugea d'abord nécessaire d'avoir un catalogue des livres qui s'y trouvoient : Morenas, rédacteur du Courrier de Giroud, première feuille périodique qui eut été imprimée dans cette ville, fut chargé de cet ouvrage ; pour donner plus d'importance à cette opération, il fit croire à ces moines qu'ils possédoient des thrésors de littérature. Cependant il exécuta son entreprise, mais comme il n'avoit aucune connaissance de bibliographie, il se borna à décrire les livres sans ordre de matières et tels qu'ils étoient placés dans les rayons ; à la première lecture de ce détail, il fut aisé de s'apercevoir du peu de valeur de ces prétendues richesses, on fit disparoitre ce catalogue qui n'a plus été retrouvé depuis. C'est le Morenas qui donna quelque temps après l'abrégé en 6 vol. in-12 de l’Histoire ecclésiastique de Fleuri.
On a cité avec complaisance certains livres de cette collection, desquels on exalte beaucoup l'extrême rareté, tels sont : Jacobi de Ancharano processus Luciferi contra Jesum coram judice Salomone, d'une édition antérieure à celle de 1611, et Hygini poëticum astronomicon, opus utilissimum, Venetiis per Erhardum Ratdolt, de Augusta, 1485, in-4°, goth., fig. Ces livres ne sont rares ni l'un ni l'autre, ils se trouvent dans toutes les grandes bibliothèques ; l'édition de l’Astronomicon, qui précède de trois ans celle des Célestins, est la seule véritablement précieuse et recherchée, elle existe sous ce titre : Clarissimi viri Hygini poëticon astronomicon de mundi et spherae et utriusque declaratione liber Venetiis, per Erhardum Ratdolt, Augustensem, 1482, in-4° goth., fig.1. Ces deux ouvrages sont aujourd'hui perdus2, il est aisé d'en sentir la raison ; on les a cru prétieux d'après l'assertion de l'auteur du mémoire. Le Platon d'Henri Etienne, de 1578, en 3 vol. in-fol., que j'y avois vu autrefois, a également disparu3.
Voilà au juste l'état actuel de la bibliothèque des Célestins d'Avignon : j'ay cru devoir entrer à ce sujet dans quelque détail pour la réduire à sa véritable valeur contre les préjugés de l'ignorance. A l'égard de celle des Célestins de Sorgues, qu'on a pris la peine de transporter ici, elle ne peut être utile qu'à l'épicier4.
Parmi les autres religieux, les Recollets, les Picpus, les Observantins, Les Carmes déchaussés, les Petits Augustins, les Frères des écoles, les Oratoriens mêmes, n'avoient pas un seul livre qui mérite d'être cité ; quelques manuscrits sur velin, dont trois ou quatre avec des peintures, existoient chés les Recollets ; c'étoient des livres de chœur ou d'église. Ils furent enlevés avant que d'être portés au dépôt, on les vendit à Offrai, libraire, et M. de Vérone, président aux comptes de Grenoble, qui alors se trouvoit à Avignon, acheta de celuy-ci, au plus bas prix, ceux qui pouvoient n'être pas entièrement inutiles.

Commentaires de Labande

1 L'édition citée comme très rare par Calvet ne l'est pas plus que celle que possédaient les Célestins ; celle qui véritablement mérite ce qualificatif est celle de Ferrare, 1475.
2 Et pourtant le second de ces volumes était signalé dans le rapport officiel de Bruny.
3 Erreur. La bibliothèque d'Avignon le possède encore, avec l'ex-libris des Célestins.
4 Calvet oublie que ces religieux avaient quelques manuscrits précieux ; je citerai
seulement le n° 329 actuel.
 

Ce qu'on appelloit une bibliothèque chés les Bénédictins de Saint-Martial n'étoit que les derniers restes dépareillés et dégradés d'une collection considérable que l'archevêque Gonteri s'étoit proposé de consacrer au service du public ; ils furent, en grande partie, vendus à sa mort pour payer les dates que son zèle à secourir les pauvres luy avoit fait contracter. Il n'y a pas plus de vingt ans, que j'y voyois encore quelques livres estimables ; mais tout a été pillé ou dispersé depuis cette époque, et surtout dans ces derniers temps.
On auroit pu faire un choix utile des livres des Dominicains et des Cordeliers ; ils avoient les uns et les autres quelques bons ouvrages, au milieu d'un tas de livres d'ancienne théologie ou de jurisprudence ultramontaine. On vantoit chés les Dominicains une Bible manuscrite in-folio sur velin, que rien cependant ne distinguoit des Bibles connues. Tout ce qui étoit bon dans l’une et dans l'autre de ces bibliothèques a été vendu, dissipé ou détruit1.  A l'époque du transport de ces livres, je vis chés une marchande d'épiceries un in-fol. G. F., qui avoit pour titre : Velerum mathematicorum opera, gr. et lat. Parisiis, e typ. regiis, 1693. J'ay quelque raison de soupçonner que ce livre pretieux, dont on avoit déjà oté les couvertures et déchiré plusieurs feuillets, avoit appartenu aux Dominicains.
Les Grands Carmes, les Capucins, les Doctrinaires, les Minimes et les Chartreux de Bonpas étoient les seuls qui eussent des suites de livres intéressantes ; les premiers possédoient une collection complète des Pères publiés par les Bénédictins. Les livres des Capucins étoient ce que nous avions choisi depuis la dispersion des Jésuites ; on auroit tiré des morceaux prétieux de chés les Minimes et les Chartreux de Bonpas ; enfin, la collection des Doctrinaires, où ils venoient de faire entrer beaucoup de livres de mathématiques, étoit un dépôt digne de l'attention des connoisseurs.
Les livres réunis des trois séminaires de Saint-Charles, de Sainte-Garde et de Saint-Nicolas égaloient et surpassoient même en mérite tout ce qui se trouvoit de ce genre dans les maisons religieuses ; ces recueils seuls auroient fourni une portion importante d'une Bibliothèque publique, si on avoit donné les ordres nécessaires pour les conserver.
Mais ces bibliothèques des trois séminaires et des cinq derniers ordres cités ont été presque anéanties, sans qu'on puisse imaginer ce que la plupart des livres sont devenus. Les corps d'ouvrages les plus remarquables, tels que la grande Histoire byzantine de l'imprimerie royale, qui étoit à Saint-Charles, la collection des Pères de la bibliothèque des Carmes, et un grand nombre d'autres ne se sont plus retrouvés2. Je ne doute pas que plusieurs n'ayent été enlevés avant l'entière évacuation des séminaires ou la dispertion des moines, mais la principale cause de leur perte a été la négligence qu'on a mise dans les moyens de les déplacer. On a vu surtout la bibliothèque de Saint-Nicolas transportée à l’archevesché par des soldats sur des civières, quelquefois avec un temps pluvieux ; les livres tomboient dans les rues sans qu'on prît la peine de les ramasser, et les soldats se divertissoient à s'attaquer et à se poursuivre les uns les autres à coups de livres.

Commentaires de Labande

1 Comment se fait-il alors que cent soixante-huit manuscrits, pour la plupart très précieux, possédant l'ex-libris des Dominicains, soient aujourd'hui à la Bibliothèque d'Avignon ?
2 Je ne sais si tous les livres de ces établissements religieux nous sont parvenus ; mais on peut voir dans la Bibliothèque d'Avignon un très grand nombre de volumes, entre autres ceux de la collection des Pères, dont Calvet regrette la perte, avec les ex-libris des Carmes, des Capucins, des Minimes, des Récollets, des Augustins, etc. (Voir encore à la fin de cette introduction la liste des manuscrits qui leur ont appartenu et qui sont conservés).

On jugera aisément qu'après un gaspillage et des dégâts aussi multipliés et aussi soutenus, il étoit impossible de former même un commencement de Bibliothèque publique ; sur plus de vingt-cinq mille volumes1, qu'on voit dans les salles de l' archevésché, lieu du dépôt, à peine en trouveroit-on cinq cents qui méritent d'avoir place dans une collection ordinaire, le reste n'est qu'une masse inutile et méprisable qu'il faut se presser d'en écarter. On doit conclure de tous ces détails qu'avec d'excellens matériaux pour enrichir la ville d'Avignon d'une Bibliothèque, les dilapidations tolérées, permises, et peut-être, le dirai-je, dans certains cas ordonnées, en ont privé pour toujours le public.
C'est par réflexion que je ne parle point des bibliothèques trouvées chés les émigrés, elles étoient en général sans mérite : la maison Seytres-Caumont est la seule qui possédât des livres et des manuscrits à conserver, on y remarquoit une collection considérable de lettres originales du marquis Maffeï, du baron de la Bastie, du président Bouhier, du chevalier Folard et de plusieurs autres sçavans françois ou étrangers, écrites au feu marquis de Caumont, associé honoraire de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Heureusement, ce dépôt de littérature déjà transféré à l' archevésché, a été restitué au propriétaire, qui a prouvé qu'il n'étoit pas sorti de l'État et qu'il avoit constamment demeuré en Auvergne, pendant son absence, auprès de son beau-frère M. de Montboissier.

[Bibliothèque d'Avignon, ms. 2348, fol. 366]

1 Il y avait environ trente-deux mille ; six mille ont été donné à d'autres bibliothèque : celle d'Avignon en avait encore, en 1812, vingt-six mille quatre cent cinquante et un. Les manuscrits étaient au nombre de six cent dix-neuf.